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Blog médical et geek de médecine générale :
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mardi 17 mars 2020

Journal de bord d'une épidémie

Il y avait trop longtemps que je n'avais pas écrit autre chose que de la médecine sourcée. Il aura donc fallu cette épidémie et une proposition d'une médecin généraliste nantaise pour que je rédige ce billet. Elle a proposé que chacun écrive un récit sur sa vision sur cette période inédite.


Ça a commencé en Chine, c'était loin. Puis ça s'est étendu en Asie. C'était toujours loin. L'Italie, c'était déjà beaucoup plus près. On est parti de discussions du type "c'est une grosse grippe, faut se protéger comme d'habitude, se laver les mains etc...". Mais quand l'épidémie s'est propagée et a inondé la France, c'est pas pareil. Des connaissances contaminées, des connaissances hospitalisées, aucune décédée fort heureusement à ce jour.

Les annonces et déclarations se sont succédées: stade 2, puis stade 3. Je crois que c'est vraiment là que le déclic s'est produit. Achat de surblouses pour consulter, alors que j'avais toujours dit ne pas vouloir consulter en blouse. Téléconsultations pour des patients pouvant se déplacer au cabinet, alors que j'avais toujours dit que, selon ma vision des besoins de téléconsultations, elles ne s'appliquaient pas pour ces patients là. Gestion des stocks de désinfectants, gestion des stocks de masques, gestion des stocks de solution hydro-alcoolique. Gestion, pas vraiment, rationnement plutôt...

Le cabinet s'est mobilisé. #SuperCollab a révolutionné l'organisation, protocoles de désinfection, circuits de patients. #JeuneAssociée s'est rapidement adapté en se mettant à la téléconsultation. #SecrétaireTop a peur, a du mal à gérer les demandes des patients qui veulent des arrêts pour ne pas aller au travail, qui veulent un RDV parce qu'ils sont inquiets, qui veulent des masques alors qu'on en a plus. #PharmacienneDuDessous est en train de préparer de la solution hydroalcoolique maison. #LaboCool n'a pas de test et dit qu'ils n'en auront pas. Pendant ce temps là, on a des soucis avec #VieilAssocié qui dit qu'il faut accepter la mortalité, qu'il y aura d'autres épidémies, qui ne veut pas arrêter ses consultations sans rendez-vous. On a dû s'organiser autour de cela pour ne pas exposer les patients. En fait, d'eux même, les patients se sont régulés pour ne pas être nombreux en salle d'attente et souvent, ils se sont procuré des masques.

Le premier lundi de stade 3, je n'avais pas d'interne pour cette journée test. J'ai enfilé ma nouvelle surblouse (j'ai essayé d'en prendre une qui ne faisait pas trop hôpital), j'ai branché ma nouvelle webcam, mis le micro-casque à charger, installé le logiciel de la webcam, préparé les téléconsultations, informé la secrétaire des modalités des téléconsultation, ouvert coronaclic.fr avant que le site ne soit saturé et reçu les produits de désinfection rapportés par #Supercollab. Ce qui apparaissait infaisable semblait maintenant abordable pour gérer la crise. A peine 15 minutes de retard au démarrage.

Les impressions des patients étaient hétérogènes, passant de la réassurance par les mesures mises en œuvre "pas de souci pour le retard, il faut bien que vous vous organisiez face à tout ça" à l'humour masquant peut être la crainte "je ne pensais pas que j'allais me faire opérer aujourd'hui!". Quand soudain, l'heure de la 1ère téléconsultation arriva. Je devais être plus angoissé que le patient sur ce mode de consultation. Après tout, fièvre et céphalées, c'est pas si dur. J'avais imprimé le protocole fournit pour bien gérer les éléments en téléconsultation, car je n'ai jamais appris à téléconsulter. Et c'est troublant. Il faut dire que la panne de webcam du patient n'a pas aidé à me rassurer. J'ai blindé les conseils, fait l'arrêt de travail, insisté sur la réévaluation et les signes d'alerte. La 2ème téléconsultation concernait un motif administratif. Au final, avec la partie technique, c'était presque plus long qu'une consultation normale, avec des conditions moins favorables d'examen. Bref, ça n'a pour le moment pas modifié mon opinion sur la téléconsultation.

La journée enfin terminée, désinfection du cabinet, nouvelle discussion avec #VieilAssocié et nouveaux désaccords. J'ai eu une peu de courbatures, probablement lié à la fatigue. J'ai pris ma température, 37,2°C, ouf. Je ne suis pas du tout anxieux ni inquiet. Tout comme hier, quand j'ai eu transitoirement une douleur respiratoire: SaO2: 98%, auto-auscultation: RAS. Pas du tout inquiet. La surblouse rangée et un "à bientôt" à #SuperCollab plus tard, direction la maison en entendant les nouvelles mesures "de guerre" à la radio, avant d'aller lire, pour décompresser, les 70 mails reçus dans la journée parlant de la Coronavirus Disease 2019.


Bref, si on s'intéresse à ce qui se dit autour du monde, la téléconsultation est en effet un moyen de faire évoluer les soins dans ce contexte. Sur les bases de données chinoises, la majorité des patients étaient des hommes, et les principaux symptômes sont la fièvre et la toux. Il y avait 6% d'hospitalisation en soins intensifs et 1,4% de décès. Des analyses plus récentes retrouvent plutôt 2,3% de décès, avec des variations allant entre 0,2% chez les moins de 50 ans à presque 15% chez les plus de 80 ans. 

On s'inquiète aussi que des patients jeunes avec obésité et hypertension artérielle aient des formes compliquées. Le coronavirus a besoin de l'enzyme de conversion de l'angiotensine 2 pour entrer dans les cellules. Ainsi, comme les AINS entrainent augmentation de la production d'ECA2, ils favorisent l'infection. On peut aussi en conclure que si les patients avec "juste" une hypertension sont plus sévères, c'est  peut être parce que les IEC et  ARAII entrainent aussi une accumulation d'ECA2. Mais normalement, ils n'ont pas d'action sur l'ECA2, donc ce ne sont que des hypothèses et il ne semble pas raisonnable d'arrêter ces traitements antihypertenseurs de façon préventive.

Je finirai par une infographie du JAMA concernant les masques: c'est tout un rituel!
A bientôt,

@Dr_Agibus


5 commentaires:

  1. Bonjour d'abord merci beaucoup pour le blog
    je suis interne en MG et je suis italienne.
    Mes confrères en Italie arrêtent toute de suite les IEC et ARA2 à l'entrée en hospitalisation. J'ai bien lu votre source mais j'ai mes petites doutes.

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    1. Bonjour, merci pour le commentaire. En effet, c'est arrêté pour les patients hospitalisés et probablement à juste titre. D'une part, le message de ne pas arrêter ces traitements vise surtout à ce que les patients n'arrêtent pas leurs traitements préventivement (j'ai ajouté quelques mots en ce sens dans le billet pour être plus clair). D'autre part, dans les conditions d'hospitalisation actuelles voire de réanimation, les patients sous souvent hypotendus, il est donc plutôt bienvenu de réduire ou d'arrêter les anti-hypertenseurs, et encore plus s'il s'agit de bloqueurs du SRA vu le mécanisme d'action connu du virus.

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  2. Merci pour les explications, Dr Agibus
    Bon dimanche

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  3. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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